Il était exactement 2h43 du matin. Je le sais car c’est précisément le moment où mon jugement s’est évaporé comme rosée au soleil. Allongé dans mon lit, le visage baigné par la lueur bleutée de mon téléphone, je me battais contre cette insomnie tenace qui me narguait depuis des heures.
« Les 12 gadgets indispensables que vous ne saviez pas que vous vouliez. »
Le titre m’a hypnotisé. Un clic, juste un petit clic innocent. Après tout, que pouvait-il m’arriver de pire que cette torture de rester éveillé à compter des moutons virtuels?
La descente aux enfers numériques
Rapidement, mon cerveau nocturne – cette version dégradée de moi-même dépourvue de toute rationalité – a pris les commandes. Les neuroscientifiques vous le diront : après minuit, notre cortex préfrontal fonctionne au ralenti tandis que nos centres émotionnels font la fête. Ajoutez la suppression de mélatonine due à la lumière bleue, et vous obtenez le parfait cocktail pour des catastrophes financières.
J’ai commencé doucement. Un support d’enceinte flottant. « Révolutionnaire, » assurait la description. Puis une plante connectée qui envoie des notifications quand elle a soif. « Elle vous apprendra la responsabilité, » promettait la publicité. Le panier s’alourdissait mais l’algorithme, ce démon bienveillant, me proposait toujours plus de merveilles.
Un mini-frigo pour salle de bain. Un moule à œufs Batman. Une veilleuse qui change de couleur selon mes émotions. À chaque nouvel objet ajouté, une micro-décharge de dopamine m’envahissait, comme me l’a expliqué plus tard mon psychologue.
L’apparition du Graal
C’est alors qu’il est apparu, majestueux dans sa simplicité : un mélangeur de cartes automatique. Noir, compact, élégant. La description vantait son « efficacité professionnelle » et sa capacité à mélanger deux paquets en moins de trois secondes.
Je n’avais jamais ressenti un tel besoin pour un objet dont j’ignorais l’existence une minute plus tôt. Mon cerveau fatigué a immédiatement tissé un récit où je devenais l’hôte légendaire de soirées poker, manipulant cet engin avec une nonchalance qui forcerait l’admiration. Mes amis me regarderaient avec envie pendant que les cartes se mélangeraient parfaitement sous leurs yeux ébahis.
« Ajouter au panier. » Clic.
J’ai poursuivi ma frénésie avec un peignoir à capuche licorne (« pour égayer vos matins ») et un mug auto-mélangeur (« ne perdez plus de temps à remuer votre café »). À 3h17, j’avais validé ma commande. À 3h18, le sommeil m’a enfin trouvé, comme si ma mission nocturne était accomplie.
Le réveil de la raison
Sept emails de confirmation m’attendaient au réveil. Sept témoignages de ma folie passagère. Mon compte affichait un débit de 237€, somme qui aurait pu être investie dans quelque chose d’utile comme des cours de méditation ou un matelas anti-insomnie.
J’ai ri nerveusement. J’ai pleuré un peu. Puis je me suis résigné à attendre ces colis comme on attend une sentence.
Quand ils sont arrivés, chaque déballage m’a fait revivre ma nuit de délire. Le porte-banane mural s’est révélé être un concept absurde même en plein jour. La veilleuse connectée confondait systématiquement ma faim avec de la colère, m’illuminant de rouge écarlate à l’heure du dîner. Le mug auto-mélangeur a fait une brève apparition avant de rejoindre le cimetière des gadgets inutiles au fond d’un placard.
La rédemption inattendue
Puis est venu le tour du mélangeur de cartes. Je l’ai posé sur ma table, y ai inséré quatre piles AA, et j’ai appuyé sur le bouton.
Vrrrrrrrrr
La magie s’est produite. En trois secondes chrono, les cartes étaient parfaitement mélangées. Pas de cartes pliées, pas de paquet mal coupé. Juste une perfection mécanique qui a fait taire momentanément mes regrets financiers.
Contre toute attente, ce gadget né d’une impulsion nocturne est devenu l’attraction star de mes soirées entre amis. Même ceux qui s’étaient moqués de mon achat ont fini par demander où ils pouvaient se procurer le même. Mes parties de poker ont gagné en fluidité, et j’ai gagné en crédibilité – ou du moins, c’est ce que je me plais à croire.
Les leçons d’une nuit blanche
Cette expérience m’a appris plusieurs choses essentielles :
- Ne jamais faire de shopping après minuit.
- Installer un bloqueur d’écran nocturne.
- Parfois, les meilleures découvertes naissent des pires décisions.
J’ai désormais une note sur mon ordinateur qui me rappelle le « fiasco du mug auto-mélangeur » chaque fois que je m’aventure sur un site e-commerce après 22h.
Mon psychologue suggère que mon attirance pour ce mélangeur de cartes reflète peut-être un désir inconscient de mettre de l’ordre dans ma vie chaotique. Je préfère penser que mon subconscient a simplement un excellent goût en gadgets de jeu.
Alors que la nuit tombe et que le sommeil me fuit à nouveau, je jette un œil à mon fidèle mélangeur de cartes. Il me rappelle que parfois, dans la folie d’une insomnie, on peut trouver un trésor inattendu – même si notre compte en banque ne partage pas cet enthousiasme.
Et vous, qu’avez-vous acheté lors de votre dernière nuit blanche?
